La femme fardée

Collage inspiré par le roman de Françoise Sagan, La femme fardée.

Une histoire âpre

« Dites-moi, pourquoi êtes-vous si, « contre » moi ? »

A droite, à gauche, derrière elle, devant elle, il était partout ; partout à pouvoir poser son regard malveillant et dépréciateur sur elle.

« Contre vous ? Moi ?… Vous êtes incroyable ! » s’esclaffa-t-il. Il riait.

Il était enchanté ! Elle avait relancé l’amer sujet de leur relation affective, un sujet qu’il adorait qu’elle abordât, car c’était celui où il pouvait lui assener le plus de coups. Sujet qu’elle fuyait donc et qu’elle n’entamait que lorsqu’elle était au bord de la dernière panique.

« Contre vous ? Moi ?… C’est le comble ! répétât-il. Je vous offre cette exquise croisière. Je vous envoie sur un bateau écouter vos deux interprètes favoris – si j’ai bonne mémoire… Je m’arrange même pour pouvoir vous accompagner, pour vous éviter d’être trop seule ou de faire des sottises et pour partager enfin quelque chose avec vous. Et vous me trouvez malveillant ?…»

Elle l’écoutait parler avec une sorte de fascination. Ils étaient seuls, pourtant. Il n’y avait personne à qui démontrer une fois de plus sa parfaite conduite à lui, et son ingratitude à elle.

Mais pourquoi était-il si incapable de lui dire ce qu’il avait à lui dire ? De lui dire, enfin, qu’il la détestait ? Et s’il la détestait, pourquoi était-il venu la rejoindre ? Est-ce pour la simple certitude que sa compagnie, à lui, lui gâcherait son voyage, à elle ?

Pliage et collage inspiré par le roman de Françoise Sagan, La femme fardée.

« Pourquoi êtes-vous venu ? Dites-le-moi.
– Je suis venu parce que j’adore la musique. Vous n’avez pas l’exclusivité de ces plaisirs-là… Ma mère, elle-même, dans son inculture totale aimait avant tout écouter Mozart et le distinguait mieux que moi-même.
– J’aurais beaucoup aimé connaitre votre mère. Ce sera un de mes remords. Vous me direz qu’il me suffit de l’ajouter aux autres pour qu’il soit noyé dans la foule ?
– Mais vous n’avez pas de remords à avoir ! »

Une colère, un incendie de colère se mis à couler dans ses veines. Elle s’y laissa aller avec complaisance. C’était maintenant la petite fille de dix ans qui s’opposait à lui, avec âpreté, pour résister au fatalisme et à sa soumission résignée, d’elle, adulte. Ce n’était plus la femme amoureuse qui se débattait dans un amour cruel, ce n’était plus la jeune fille qui refusait les leçons de son Pygmalion devenu sadique et sans pitié, c’était maintenant une sale gosse égoïste et volontaire, qu’elle ne se rappelait même pas avoir été, et qui se rebellait.

– Vous n’avez pas de remords à avoir, reprit-il. Ce serait plutôt moi ! J’ai été assez bête pour croire que l’on pouvait changer de classe, que l’on pouvait, par amour, renoncer à certains privilèges et en choisir d’autres plus précieux à mes yeux. Je me suis trompé.
– Mais en quoi vous êtes-vous trompé ? Pourquoi vous ai-je déçu ? Soyez clair, là-dessus !
– Clair ? La suffisance, la lâcheté et la brutalité des grands bourgeois français, que vous avez hérités de vos grands-parents, ne sont pas conscientes chez vous, elles sont instinctives !

Création visuelle inspirée par le roman de Françoise Sagan, La femme fardée

Il tourna vers elle un visage convulsé par la fureur. « Il pouvait être laid par moment » songeait-elle. Elle-même, pouvait le trouver laid. C’était un progrès immense d’une certaine façon. Elle cherchait ses yeux, mais ils fuyaient son regard, pour la première fois depuis longtemps. En général, ils étaient braqués sur elle, durs, regardant son visage attentivement, semblant y relever des traces de corruption ou de bêtise, en nombre assez impressionnant pour qu’elle se détourne, humiliée, sans même qu’il ait ouvert la bouche.

– Oh, je sais bien… dit-elle en fermant les yeux. Je connais bien votre intransigeance. Vous avez toujours raison. Mais il y a des moments où il m’est complétement égal d’avoir tort.

Il claqua la porte derrière lui.
Elle se sentait lasse tout à coup, épuisée, et au fond d’une tristesse mortelle.

Collage inspiré par le roman la femme fardée de Françoise Sagan

C’était les derniers jours de l’été, un été qui avait été jaune et cru, violent. C’était à présent un soleil poli et pâle qui s’allongeait sur les flots plats. C’était la fin d’un après-midi d’été, et quelque chose, dans l’air, était languissant, doré, superbe, mais surtout : périssable.

Sur le pont, reposés et fais, brunis par le soleil de l’été, s’ennuyant déjà mais encore capables de supporter leurs loisirs, les passagers du Narcissus affleuraient de partout, émergeaient des coursives, se reconnaissaient, se saluaient, s’embrassaient, traversaient le point au rythme des rencontres, se formait en petits groupes qui se disloquaient, s’éparpillaient dans tous les sens, telle une étrange légion d’insectes dorés, sortis d’un monde souterrain et légèrement répugnant.

Quand il revint dans la cabine une demi-heure plus tard, il la trouva qui dormait.
Son visage, débarrassé de ses fards, abandonné, l’air enfantin subitement, et pacifié.
Elle souriait presque. Il y avait quelque chose en elle qu’il n’arrivait pas à détruire.
Par moments, comme celui-ci, il pressentait qu’il ne parviendrait jamais à détruire ce quelque chose qu’elle avait acquis en naissant, qu’il essayait désespérément de relier à sa fortune mais qui, il le sentait bien, n’avait rien à voir avec ça ; un quelque chose qui ressemblait étrangement à la vertu… Elle se défendait avec, elle luttait.
Et pourtant, elle n’avait pas d’arrière-garde, elle n’avait rien. Il l’avait dépossédée de tout, de ses amis, de ses amants, de sa famille, de son enfance et de son passé. Même d’elle-même.

Et pourtant, de temps en temps, elle souriait mystérieusement, comme pour la première fois, à un inconnu.

Texte écrit à partir d’une sélection d’extraits réadaptés.
Illustrations : premières recherches – assemblages, collages et photographie numérique.

Synopsis

Capri, Syracuse, Carthage, Palma…Un paquebot étincelant, une croisière de rêve, un confort sans égal, des diners au champagne et une petite cohorte d’imposteurs privilégiés et de mondains désabusés.

Peu à peu le calme se brouille, la tension monte, les masques tombent et les poses mondaines, insuffisantes à dissimuler les sentiments abjects, deviennent aussi tristes que burlesques. Sous un soleil de septembre, une douzaine d’hommes et de femmes des hautes sphères glissent dans une aventure âpre en forme de satire sociale au vitriol. Ils partaient pour dix jours d’insouciance, ils iront jusqu’au bout d’eux-mêmes.

Recherches & création

A titre personnel, et au fil des lignes, ce roman m’évoque des formes, des styles, des ambiances, des couleurs, des flous, des bougés et des « ratés » que j’ai commencé à formaliser par le biais d’assemblages et de collages retravaillés numériquement. Ces manipulations ont également initié une recherche autour du pli et des pliages – « replis de la matière et replis de l’âme » dira Gilles Deleuze – idéal, donc, pour traiter la thématique des gens et de leur âme et peut-être ainsi entamer un éventuel travail, notamment à travers mon matériau de prédilection, le textile, autour du concept d’identité.

Pliage, expérimentation plastique